Matière et vie
(1600-1800)
 
 
Cassino 14-16 décembre 2000
 
Résumé
 
 
Le concept de semence de Pierre Gassendi
entre les sciences de la matière et les sciences de la vie au XVIIe siècle.
 
Hiroshi HIRAI 
 Ph. D.  Centre d檀istoire des sciences, Université de Liège (Belgique)
Email : jzt07164@nifty.ne.jp
 
 
    Pour la plupart des historiens, l段mage de l誕tomiste français Pierre Gassendi (1592-1655) est toujours celle qui a été construite par les positivistes, c弾st-à-dire l置n des héros canoniques de la révolution scientifique symbolisée par le mécanisme corpusculaire, souvent conçu comme « rationnel ». Gassendi, rival de Descartes, était le restaurateur de l誕tomisme épicurien christianisé qui, dès lors avec le mécanisme de l置nivers sans vide de Descartes, a dominé le courant corpusculariste durant le dix-septième siècle et au-delà. 

    En inventant le terme « molécules » (moleculae) pour désigner les agrégats d誕tomes primordiaux, Gassendi considère que les atomes s置nissent et établissent les molécules qui construisent, à leur tour, les choses sensibles (res concretae). Pour lui, les qualités sensibles (couleurs, odeurs, saveurs etc. ), dites secondaires, des choses sensibles sont déterminées au niveau des molécules dont les qualités résultent des qualités premières d誕tomes (grandeurs, figures et mobilité innée). Et les éléments des Aristotéliciens et les principes des chymistes ne sont que les amas des molécules. 

    Or, il nous faudrait signaler que Gassendi a appelé assez curieusement ses molécules « semences des choses » (semina rerum). On pourrait croire que, par cette dénomination, il a respecté sans doute l置sage du terme « semina » de Lucrèce, grand poète atomiste. Toute une autre explication a été donnée, il y a trente ans, par l置n des meilleurs spécialistes de Gassendi, Olivier Bloch (n.1). Selon lui, Gassendi lisait l凋uvre minéralogique d置n chymiste français Etienne de Clave (fl. 1624-1641) et était fortement influencé quasiment par ce seul auteur afin de développer l段dée de semences des choses naturelles. Cette thèse a été acceptée en général par les historiens et nous semble encore d誕utorité aujourd檀ui. 

    Si on lit attentivement le texte de Gassendi, on aperçoit chez lui d誕bondants usages de notions telles que le « spiritus élaborant », le « spiritus lapidifique », la « force séminale », etc. Les historiens de la chimie remarqueront l段mpact considérable de la philosophie chymique de la Renaissance sur ces notions. (Nous écrivons la « chymie », avec un y grec, pour signifier l弾nsemble de  la tradition de savoir sur les matières et leurs propriétés car elle a injustement été divisée entre la « chimie » en tant que science exacte et l« alchimie » en tant que pseudo- science.) En tous cas, les idées de semences des choses et de leur force séminale touchent non seulement le problème de la matière mais aussi celui de la vie chez l誕tomiste français. Gassendi explique en effet par ces idées comment les espèces naturelles se perpétuent en conservant les caractères spécifiques et bien ordonnés et comment la régularité extraordinaire des figures et des formes des choses naturelles naît et s弛rganise. En fait, ces notions comblent, pour lui, les principaux défauts du mécanisme pur et simple de certains de ses contemporains. Il nous est permis ici de dire que la notion de semence de Gassendi est la clé fondamentale de sa théorie de la matière et de la constitution du monde entier. 

    Comme nous l誕vons montré ailleurs, il existait, à lépoque de la Renaissance, une vive tradition qui impliquait le concept de semence dans le système même du monde pour expliquer cette régularité extraordinaire de la constitution des choses naturelles (n.2).  Cette tradition est née dans la métaphysique cosmogonique de Marsile Ficin (1433-1499) de l誕cadémie platonicienne de Florence. Ficin explique lémanation des « espèces divines » par les « idées » (ideae) dans la divine intelligence, puis par les « raisons » (rationes) dans lâme du monde et enfin par les « formes » (formae) dans la matière première. Entre les « formes » et les « raisons », il introduit les « semences » (semina) et les attribue à la nature située entre lâme et la matière. C弾st ce concept ficinien de semence qui se développe au fil du temps et culmine chez le Paracelsien danois Pierre Séverin (Peder Sørenson) (1540-1602) dans son chef-d凋uvre Idea medicinae philosophicae (Bâle, 1571). Dès lors, le système séverinien remporte un succès considérable auprès des chymistes d弛rientation paracelsienne dans la deuxième moitié du seizième siècle et au début du dix-septième siècle. L段nterprétation chymique du concept de semence se perfectionnera chez le chymiste flamand Jean-Baptiste Van Helmont (1577-1644) à qui Gassendi a rendu visite en mai 1629. Nous pouvons dire que le concept de semence de la nature au dix-septième siècle était fortement relié à la tradition de la philosophie chymique de la Renaissance. 

    Comment devons-nous comprendre l段dée de Gassendi par rapport à cette tradition du concept de semence ? Notre communication vise ainsi à placer correctement le concept de Gassendi dans son contexte historique et à démontrer ses sources exactes. Un dernier mot sera aussi accordé au biologiste italien Francesco Redi (1626-1697) pour décrire brièvement sa réaction vis-à-vis du concept gassendiste. Car l段mpact du concept gassendiste, dans la seconde moitié du dix-septième siècle, surtout sur les biologistes, est digne d段ntérêt. Comme on le sait, la théorie de la préexistence des germes en embryologie commence à se développer aux alentours des  années 1660. Mais, la véritable relation entre cette théorie et le concept de semence à la Renaissance n誕 pas sérieusement été étudiée jusquà présent. 

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Notes 
 (1)  O. R. Bloch, La philosophie de Gassendi. La Haye, 1971.  pp. 233-278. 
 (2)  H. Hirai, Le concept de semence dans les théories de la matière à la Renaissance : de Marsile Ficin à Pierre Gassendi. (thèse de doctorat), Université de Lille 3, 1999. Cette thèse sera publiée dans la Collection des travaux de l但cadémie internationale d檀istoire des sciences, Brepols, Turnhout (Belgique). 
 

 
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